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Labo'M 

L’impact du changement climatique pour les collectivités et les entreprises

Par M Capital

Impossible de revenir en arrière, le risque « climat » est de plus en plus important chaque année dans les analyses des dirigeants d’entreprises et du grand public. D’ailleurs, le processus de changement climatique a déjà̀ des conséquences négatives mesurables : moindres rendements agricoles, baisse de l’offre de travail, croissance plus faible de la productivité́, canicules et inondations à répétitions.

Les catastrophes naturelles remontent aujourd’hui à la 3 e position et le changement climatique à la 7e position dans le classement des risques majeurs pour l’entreprise (Allianz risk Barometer 2022). Selon une étude récente menée par l’Amrae e Axa Climate, les risk managers en entreprise (voir l’étude) craignent en priorité les risques physiques comme les crues et les inondations à 92%, l’évolution de phénomènes chroniques comme les canicules (84 %) et les températures extrêmes, à la hausse (81 %) comme la baisse (71 %). Du reste, les citoyens français partagent ces craintes puisque 90% d’entre eux redoutent une catastrophe naturelle et 59% ont le sentiment d’habiter dans une zone à risque (selon une étude menée par Stelliant en août 2021).

Il faut dire qu’en 2021 les événements climatiques ont été fréquents et intenses et que la saison printemps-été 2022 est déjà marquée par la sécheresse et les épisodes caniculaires, sans compter, chez nos voisins espagnols, une vague de mega feux ayant ravagé des dizaines de milliers d’hectares.  Au niveau mondial, l’assureur Swiss Re a estimé le coût de ces séquences climatiques à quelque 250 milliards de dollars, en hausse de 24 % en 2021 par rapport à 2020. Les impacts du réchauffement climatique et des catastrophes naturelles sont en toute logique d’abord redoutés sur les biens des entreprises, la chaîne d’approvisionnements, et donc sur les interruptions d’activité.

Nous avons interrogé Charles Levêque, Fondateur et Président de OuiACT, l’un des solutionneurs du Labo’M, sur sa vision. OuiACT est une agence experte sur les thématiques de l’énergie et du climat, qui propose aux entreprises et aux collectivités des services et des outils de réflexion de haut niveau pour orienter leurs actions vers un monde bas-carbone.

Quels sont les risques encourus par les entreprises et les collectivités si elles n’agissent pas vis-à-vis du changement climatique ?

Charles Levêque, Fondateur et Président de OuiACT

« Le risque le plus important réside dans la hausse des températures (plus 5 à plus 6 degrés d’ici 2100 selon le dernier rapport du GIEC), qui rendra des zones invivables sur terre. C’est d’abord un risque de mortalité massive à l’échelle du globe, où des territoires entiers deviendront inhospitaliers pour l’Homme. Il faut se rendre compte que lors de la dernière ère glaciaire (il y a 20 000 ans), on pouvait se rendre de Londres à Paris à pied, parce que la mer était 100 m plus bas et que la banquise recouvrait le nord de l’Europe. Et la dernière ère glaciaire, c’était seulement 5 degrés de moins. Or il nous faudra à peine 150 ans pour augmenter les températures de 5 degrés. C’est colossal ! 

Le premier risque est donc humain et balaie tous les autres.

En numéro deux vient le risque économique. 85% de notre énergie mondiale est fossile. Elle sera finie un jour, et entre temps, il y en aura de moins en moins. La raréfaction de la ressource et la réduction des émissions de Gaz à Effet de Serre doivent pousser les décideurs et les chefs d’entreprises à faire des choix différents.

Le troisième risque est réglementaire. De nouvelles lois peuvent arriver soudainement et changer très fortement la donne. Quand l’Europe a décidé qu’en 2035, plus aucun véhicule thermique ne devrait être produit, cela engendre un effet drastique : les industries doivent opérer un virage en un temps record et les entreprises et institutionnels responsables de mettre en place les infrastructures doivent eux aussi réaliser une production et un déploiement titanesque très rapide, avec un effet boule de neige sur la production d’énergie. 

Il est important de souligner que les risques sont également mesurés par les investisseurs, ces derniers sont déjà et seront de plus en plus exigeants sur la capacité de résilience au changement climatique des entreprises et des projets et sur leur contribution à la lutte contre le réchauffement climatique (émissions de Gaz à effet de serre). 

Ce sont les entreprises et les projets les plus sobres et les plus résilients qui auront l’avantage car elles auront la préférence des financeurs. Et heureusement ! Car les actifs immobiliers ou industriels émetteurs de Gaz à Effet de Serre que l’on finance aujourd’hui vont émettre pendant trente ans a minima… C’est ce que l’on appelle des émissions verrouillées. La finance a un rôle crucial à jouer pour empêcher de créer de nouvelles sources d’émissions de GES*. »

*Gaz à effet de serre

Comment palier ces risques ? Quelles sont les mesures prises et les tendances règlementaires ?

Le repositionnement stratégique des entreprises est rendu nécessaire non seulement à cause des risques climatiques physiques mais aussi pour se conformer à des réglementations visant une économie décarbonée.  Les organisations et les collectivités deviennent responsables d’une action suffisante face au changement climatique. 

Ainsi, le changement climatique est perçu à la fois comme porteur de crise mais également comme moteur d’innovation et de transformation. Au-delà̀ des enjeux de transition énergétique et d’élaboration d’un modèle économique durable, ce sont les entreprises et les territoires les plus conscients et les plus innovants qui seront résilients. C’est certainement dans une approche large et collaborative, embarquant les acteurs d’un territoire ou d’une zone industrielle, mêlant grandes entreprises, PME, startups, collectivités, associations (comme la Cleantech Vallée dans le Gard) que l’action sera la plus efficace.

« Le risque pour les entreprises et les collectivités est d’abord humain et balaie tous les autres. »

Qu’en pensez-vous ? Quelle est votre vision sur les actions possibles ?

« L’entreprise ou la collectivité qui veut agir peut le faire de plusieurs manières et peut avoir recours pour cela à des dispositifs d’aides.

Le plus urgent aujourd’hui, c’est de fixer l’objectif de ne pas émettre davantage de CO2 que la planète n’est capable d’en absorber, le plus vite possible !  Le dernier rapport du GIEC rappelle que l’effort de réduction des GES doit être de 95% d’ici 2050 et 40% d’ici 2030. Chaque français émet aujourd’hui 11 tonnes de CO2 par an et il faudrait n’en dépenser que 2.

Or, en moyenne, même en étant exemplaire, aucun de nous n’est capable de parcourir plus de 25% de ce chemin seul. Les petits gestes du quotidien sont essentiels, mais les 75% qui restent reposent avant tout sur les efforts des entreprises et des pouvoirs publics.

Tout d’abord, il s’agit de faire prendre conscience des enjeux de la décarbonation, grâce à la sensibilisation et la formation : les dirigeants, les salariés, les élus, les agents, doivent comprendre les effets du changement climatique, pour pouvoir le prendre en compte. C’est un sujet vaste et complexe, avec pour origine une multitude de causes. Comme tout le monde est concerné, tout le monde doit être formé.

En cela, la démarche des scientifiques qui ont décidé de proposer une formation flash de réveil écologique aux nouveaux députés lors de leur prise de fonction est remarquable ! Ce n’est pas leur rôle a priori, mais ils s’en sont emparés.  Une fois la sensibilisation faite, la réglementation doit suivre pour que les actions soient menées, aller agir au cœur de la création des lois est donc une initiative très perspicace.

Il s’agit ensuite d’intégrer la contrainte carbone dans l’organisation et que les décideurs puissent orienter leurs choix au travers du prisme climat c’est-à-dire de l’empreinte carbone.

De nombreux outils sont maintenant disponibles pour cela. Le bilan carbone permet d’étudier tous les flux et de trouver les gisements de GES.  L’Ademe a conçu cet outil en 2004 et il est maintenant coordonné par l’Association Bilan Carbone. Il s’agit d’une démarche de progrès pour les entreprises et les collectivités locales, qui permet d’analyser l’ensemble du périmètre de responsabilité et de dépendance, en identifiant où sont les émissions les plus importantes dans l’organisation pour ensuite les réduire.

Souvent, l’industrie pense que ses GES sont liés à leur consommation directe d’énergie, alors qu’en moyenne, 60 à 80% des émissions se trouvent dans les achats de matière première et la logistique… Décider de changer peut même permettre de devenir plus performant. 

D’autres outils existent, notamment pour les collectivités locales, qui peuvent aujourd’hui étudier leurs budgets sous le prisme du climat avec l’aide d’une méthodologie robuste développée par I4CE (I4CE – Institute for Climate Economics ou Institut de l’économie pour le climat est un institut voué à la recherche sur l’économie du climat et fondé en juillet 2015 par la Caisse des dépôts et l’Agence française de développement). Elle permet d’offrir aux élus un outil de pilotage à l’échelle du budget d’une collectivité locale. La collectivité peut identifier quelles sont les dépenses qui sont alignées avec les accords de Paris et qui sont donc favorables au climat, et quelles sont celles qui sont émettrices de CO2. Grâce à cette vision nouvelle, la collectivité peut faire des choix nouveaux, éclairés sous l’angle de la contrainte carbone, notamment lors du vote de son budget. » 

Les entreprises et les collectivités sont-elles prêtes à prendre en compte le changement climatique dans leurs décisions ?

Aujourd’hui, les moyens mis en place sont encore insuffisants par rapport au constat : 43 % des entreprises n’ont pas de gouvernance des risques climatiques et 60 %, des risk managers jugent manquer de compétences en la matière (Allianz risk Barometer 2022), que constatez-vous de votre côté ?

« On n’en est effectivement qu’au début. Beaucoup de chemin reste à parcourir même si cela progresse. Il y a deux catégories d’organisations, en fonction de leur taille et de leur maturité : celles qui prennent de plus en plus en compte le changement climatique, poussées par les dispositifs réglementaires et fiscaux. Ce sont en général les grandes entreprises. Le rôle du législateur est très important, car les incitations sont moins efficaces que les réglementations. J’en veux pour preuve que dans les petites et moyennes entreprises, la décarbonation reste à la volonté du chef d’entreprise. 

Sans obligation sur la performance carbone, les PME sont aujourd’hui libres d’agir ou non sur leur empreinte carbone. Bien sûr, l’empreinte carbone est très différente selon la nature des activités de l’entreprise. Entre une société de conseil et un fabricant de béton, l’implication dans le changement climatique est évidemment bien différente. 

À chacun de faire sa prise de conscience, sans pour autant culpabiliser. Chacun de nous a son rôle à jouer, tant dans la prise en compte et la réduction de sa propre empreinte que dans son adaptation à un changement que l’on sait inéluctable.

Les collectivités locales sont motrices par leurs actions de décarbonation :  elles sont des laboratoires d’expérimentation dans la prise en compte du changement climatique. 

Leur rôle diffère aussi selon leur emplacement géographique, 35% de la population mondiale vit dans les villes. En 2050, on estime que ce sera les deux-tiers. Cette population génère 70% de l’empreinte carbone mais ce sont eux aussi qui subisse le plus le changement climatique. 

« La déforestation est une catastrophe, car non seulement on réduit les puits de carbone en enlevant les arbres, mais on libère en plus tout le carbone qu’ils ont stocké en brûlant le bois sur place. » 

Quels sont les bénéfices pour l’organisation lorsqu’elle s’engage dans une stratégie de réduction de ses émissions et d’adaptation au changement climatique ?

« Si elle est pro-active, l’organisation aura des bénéfices importants, auxquels elle ne pense pas toujours. Elle sera favorisée par les investisseurs qui préfèrent aujourd’hui miser sur les entreprises qui s’engagent. Sa marque employeur sera boostée, notamment auprès des salariés qui cherchent à s’impliquer dans des organisations qui donnent du sens à leur travail. Enfin, la performance commerciale dépend aujourd’hui de façon croissante de l’engagement des entreprises, les clients se comportant de plus en plus comme des acteurs responsables de leurs achats. Il en va de même pour les citoyens dont les exigences en matière d’actions vis-à-vis du changement climatique suivent la courbe ascendante des effets climatiques néfastes qu’ils peuvent constater. »

Comment faire prendre conscience aux organisations de l’importance de leur rôle dans la lutte et l’adaptation au changement climatique ?

« Les enjeux sont exorbitants sur le plan macro-économique : 2500 milliards de dollars d’actifs pourraient disparaître si l’on atteint plus 2,5 degrés d’ici la fin du siècle, soit 1,8% des actifs mondiaux. Avec un réchauffement de 2 degrés, qui correspond à l’objectif des accords de Paris, la perte serait de 800 milliards de dollars.

Alors oui, il faut changer les mentalités ! Le réchauffement n’a pas de frontières et c’est un problème mondial, mais ce sont les pays du sud qui seront touchés les premiers. Or, ce sont nos pays occidentaux qui sont les plus émetteurs. Nos entreprises n’ont pas assez conscience de leurs émissions, celles qui sont prêtes à changer sont encore trop peu nombreuses.  L’enjeu est économique et les décisions sont politiques, ce qui ne facilite pas la tâche. Cependant, il est malheureusement préférable que les effets néfastes ne soient plus seulement une projection lointaine, mais une réalité sensible, car tant que l’on n’est pas devant un mur, on continue ! C’est malheureusement très humain. »

Selon Bruno Latour, « désormais, nous en sommes réduits à limiter les dégâts, à nous ajuster à une catastrophe irréversible (…) il ne s’agit plus tant de penser le futur que de penser le présent menacé. Le problème n’est donc pas de choisir entre optimisme et pessimisme mais d’absorber la situation nouvelle, et ne pas perdre espoir. Sans croire que si nous remontons nos manches et convergeons vers un but, nous réglerons la crise. Ce n’est d’ailleurs pas une crise mais une nouvelle situation, irréversible en grande partie. » 

Toutes les organisations vont devoir s’adapter, et il s’agit donc autant d’atténuation et de lutte que de résilience.

Quels conseils donneriez-vous aux organisations pour aujourd’hui et pour demain ?

« Je donnerai 3 conseils.

Premièrement, si les dirigeants ne sont pas sensibilisés sur le sujet, l’organisation ne pourra pas s’engager. La formation et la sensibilisation permet la prise de conscience des décideurs, de celles et ceux qui ont les leviers d’action, et peuvent déclencher les solutions qui sont à notre portée.

Ensuite, l’engagement consiste à identifier où sont les gisements de GES dans l’organisation, et de comprendre là où elle est le plus impliquée dans le changement climatique. Cette étape permet d’appréhender quelle est l’exposition de l’organisation aux risques tant en termes d’émissions que d’adaptation.

« Le coût de l’inaction sera bien plus grand que le coût de l’action » 

Il s’agit pour les équipes d’accepter que pour réduire ses émissions et organiser son adaptation, cela demande de l’énergie, du temps et de l’argent, mais que c’est une question de survie à l’échelle mondiale et économique autant qu’à l’échelle de l’organisation. On doit aussi comprendre que le coût de l’inaction sera bien plus grand que le coût de l’action. »

OuiACT est une entreprise à mission fortement engagée qui fait partie du réseau des solutionneurs du Labo’M. Quelles solutions proposez-vous aux entreprises et aux collectivités ?

Nous avons deux approches : l’une centrée sur l’organisation (analyse et stratégie) et l’autre centrée sur le produit (éco-conception).

Notre métier, c’est d’accompagner les entreprises et les collectivités à piloter leur transition écologique et à réduire leurs émissions de GES.

Nous intervenons en matière de formation et de sensibilisation des dirigeants, des élus et des salariés sur les enjeux climatiques. Ensuite sur l’accompagnement, avec différents outils, pour le calcul des émissions de GES, notamment le Bilan Carbone® qui permet l’identification des postes générateurs d’émissions et la définition des leviers pour les réduire à court, moyen et long terme.

Nous sommes spécialistes de la stratégie carbone, cela consiste à intégrer la stratégie climat à la stratégie globale de l’organisation. Nous accompagnons nos clients à définir une vision et une trajectoire de réduction de GES ambitieuse et réaliste puis à élaborer des plans d’actions très concrets pour réduire les émissions. Nous agissons en proximité dans l’entreprise, auprès des équipes dirigeantes, des équipes achat et production pour travailler avec eux.

Nous travaillons aussi sur les produits et les services, afin de réduire leur empreinte carbone. Nous utilisons des outils comme l’analyse des cycles de vie qui permet l’éco-conception afin de permettre la production de produits et services décarbonés dès leur conception.

Nous avons aujourd’hui une trentaine de clients, dont la moitié sont des PME ou des ETI du monde industriel, et l’autre moitié des collectivités (villes, agglomérations, régions, départements).  Nous sommes une équipe de 5 personnes et nous avons une croissance importante, ce qui nous permet de recruter de nouveaux talents, avec l’objectif de doubler nos effectifs d’ici le début de l’année prochaine. »

Sources Les Echos / Ministère de la transition écologique / YouMatter

Carole Maurage, Co-Directrice du Labo M, pour M Capital